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Chloroquine : faut-il un essai contrôlé « méthodologistes versus Didier Raoult » ?

A l'heure où certains hôpitaux sont débordés et où les morts s'accumulent, il est impossible à un médecin de ne pas vouloir tout faire pour essayer de sauver ses malades. Mais c'est en ces temps difficiles que nous avons besoin d'avoir des repères que seuls les hommes de grande expérience peuvent nous donner.

  • 31 Mar 2020
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    La polémique sur l’utilisation en urgence de la chloroquine pour le traitement des infections à Covid19 s’éteindra dans quelques semaines lorsque les preuves de son efficacité basées sur des essais comparatifs seront disponibles.

    Si ce traitement marche, on criera au scandale de ne pas avoir pu en disposer plus tôt. Si ce traitement ne marche pas, on criera au scandale de nous avoir leurré… Mais en attendant, que faire ? Certains veulent pouvoir l’utiliser dans les formes graves car « on ne risque rien à essayer et on ne peut pas laisser les malades mourir sans rien tenter ». D’autres, prudents ou frileux, préfèrent attendre des données solides. Mais l’utilisation avant les preuves expose à trois risques.

    D’abord ce médicament a ses propres effets indésirables notamment cardiologiques, majorés en cas d’association à certains antibiotiques comme l’azithromycine, ou chez des patients cardiaques ou ayant une myocardite aigüe virale présente chez 15% des malades graves hospitalisés pour un SARS-coV-2. Les premiers morts de la chloroquine viennent d’être rapportés aux USA et en France…

    Ensuite, le battage fait autour de la chloroquine conduit certains patients ou leur famille à exiger immédiatement ce traitement plutôt que d’accepter d’être inclus dans les essais thérapeutiques pourtant nécessaires pour connaitre la réelle efficacité de ce médicament. En en prescrivant, on empêche ou on ralentit l’obtention de la preuve pourtant tant attendue.

    Enfin, l’utiliser prématurément c’est nier la nécessité de la preuve, c’est accepter l’avis d’experts sur des bases fragiles, c’est donner du crédit à des résultats parcellaires sur des critères sans signification clinique, c’est contribuer à l’absence de savoir. Pourtant ce sont ces mêmes prescripteurs qui viendraient à se plaindre de choix thérapeutiques à la légère, d’une absence de rationalité dans les décisions.

    En médecine, seul l’essai thérapeutique contrôlé randomisé (où un tirage au sort permet de définir le groupe qui reçoit le traitement à l’étude et le groupe qui reçoit le traitement placebo) permet une comparaison fiable et puissante :  toute différence observée est liée au traitement à l’étude. Plus que telle ou telle molécule, c’est surement le plus grand progrès thérapeutique de ces 40 dernières années permettant définitivement de savoir si une molécule chargée d’espoir n’a en fait aucun intérêt clinique ou si un produit incertain est, en fait, un vrai progrès pour les malades. S’en priver, s’en affranchir c’est revenir 40 ans en arrière, au temps de l’empirisme et des croyances partisanes. Chaque fois qu’on a oublié l’essai thérapeutique on a perdu du temps ou trompé les malades !

    Pourtant le Professeur Didier Raoult n’est pas de cet avis. Un essai non randomisé d’une quarantaine de malades et une cohorte non comparative de 80 malades lui suffisent pour être convaincu de l’efficacité de la chloroquine. Dans une récente tribune dans le Monde daté du 29 mars il souhaite en finir avec les méthodologistes, les mathématiciens, les "modélisateurs dictateurs", appelant à un retour des médecins-philosophes à inspiration humaniste et religieuse.

    Cependant il admet être en désaccord avec de comité d’éthique de son institut. Il y interdit les essais de non-infériorité qu’il juge inéthiques alors que ce sont surement les études faisant courir le moins de risque au malade puisque les deux médicaments comparés sont proches. Il préconise des études comparatives plutôt que des essais versus placebo, ce qui laisse redouter qu’il ne sache pas qu’un essai versus placebo est une étude comparative ! Tout cela me laisse pantois…

    Un bon méthodologiste se doit d’être peu ou prou médecin, mais un bon microbiologiste se doit d’être peu ou prou méthodologiste. Il préconise de tout tenter chez tout le monde. Faut-il lui rappeler la thalidomide, le Vioxx, la ciclosporine dans le VIH, le Xigris dans le choc septique ou la trovafloxacine ? Il est plus inéthique de mal faire que de ne rien faire car on apporte confusion, doute, fausse piste et il sera encore plus difficile de revenir en arrière.

    Cette situation se renouvelle avec la chloroquine, mais les nombreux essais randomisés internationaux en cours permettront de savoir bientôt. Nous souhaitons tous qu’ils soient clairement positifs. Dans le cas contraire, nous aurons une triste preuve de plus que l’essai contrôlé randomisé n’est pas seulement fait pour acquérir des connaissances réelles mais aussi pour nous protéger de nos erreurs.

    Pr Jean-François BERGMANN
    Ancien chef du Département de Médecine Interne à l’hôpital Lariboisière.
    Professeur émérite de Thérapeutique à l’Université de Paris
    Ancien vice-président de la commission d’Autorisation de Mise sur le Marché des Médicaments à l’ANSM (Agence du Médicament)

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    JDF