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Coronavirus : pour un confinement compatible avec une reprise économique

L'auteur n’est pas un spécialiste de l’épidémiologie, simplement un théoricien scientifique généraliste qui s’alimente des nombreuses données disponibles sur Internet, et témoin du climat général qui règne sur les réseaux sociaux.

  • LucaLorenzelli/istock
  • 03 Avr 2020
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    J’aimerais compléter par quelques chiffres la précédente Tribune du Comité de crise COVID-19 de la Société Française de Virologie, et suggérer, en mon nom propre, un scénario pragmatique de sortie de crise basé sur ces statistiques.

    L’épidémie de COVID-19 a popularisé le concept « d’immunité grégaire » ou « immunité collective ». Selon ce concept, une épidémie s’arrête naturellement à partir du moment où une fraction suffisante de la population a été infectée par le virus qui en est la cause. Cette notion repose sur l’acquisition d’une immunité (au moins temporaire) par la synthèse et la persistance d’anticorps chez les malades guéris (ou ceux dont l’infection est restée asymptomatique). Notons que l’on sait encore peu de choses sur ce processus et l’efficacité de l’immunisation dans le cas du COVID-19 [1, 2]. Pour les besoins de cet article, je ferais néanmoins l’hypothèse que cette immunité est effective, pendant au moins plusieurs mois.

    La solution d’urgence de la distanciation sociale, puis du confinement, a deux effets contradictoires sur la crise qui nous occupe. Dans l’immédiat, elle va bientôt stopper la propagation exponentielle du virus au sein de la population et le nombre de décès socialement inacceptable qu’il cause. Mais plus le confinement est efficace, et plus il empêche l’acquisition de l’immunité collective, et donc à la population d’atteindre le taux de 70 % d’infections qui est estimé nécessaire à l’arrêt de l’épidémie de COVID-19 (estimation basée sur sa contagiosité, i.e. l'indice R0, estimée à 2,5) [3]. Si à la fin de la période de confinement, il n’y a eu que 10 % de la population exposée à cette nouvelle souche de coronavirus1, que va-t-il se passer quand nous serons de nouveau libres de circuler, de travailler, et que les transports (y compris internationaux) seront rétablis ? Nous serons ramenés à la situation du mois de février, transposée sur une population encore « naïve » à 90 %. L’épidémie repartira donc à partir des virus encore circulants.

    La stratégie de déconfinement doit donc être mûrement réfléchie, et acceptable pour une population qui va devenir de plus en plus rétive à suivre les ordres du gouvernement. Mais il est clair que les contraintes actuelles ne pourront pas être maintenues beaucoup plus longtemps, sous peine de voir s’écrouler durablement notre économie, de plonger dans la misère les couches sociales les plus défavorisées, et de voir se développer une contestation de plus en plus violente dans les quartiers les plus sensibles de nos villes.

    J’aimerais utiliser de nouveau quelques chiffres, pour proposer un scénario de déconfinement progressif tel que cela est évoqué par le Comité de crise COVID-19 de la SFV dans la Tribune du 26 mars dernier [4]. Pour cela, il faut s’appuyer sur l’énorme variation de la létalité (i.e. la proportion d’issues fatales parmi les malades) en fonction de l’âge des patients. Selon de nombreuses sources très concordantes, celle-ci augmente très fortement à partir des personnes âgées de 60 à 69 ans (3,6 %), puis encore très largement (8 %) pour les personnes âgées de 70 à 79 ans, jusqu’à atteindre près de 15 % pour les plus de 80 ans [5]. En France, plus de 78 % des décès dus au COVID-19 concernent des patients âgés de 75 ans ou plus.

    Même si nos pourcentages de létalité sont très probablement surestimés (en raison de la non prise en compte des 80 % de cas bénins, non testés), l’influence de l’âge reste très importante, même dans les pays dont la létalité moyenne est très largement inférieure à la nôtre (comme l’Allemagne à 0,7 %), due à leur politique de tests généralisés [6]. Après une remise à l’échelle (d’environ un facteur 10), la létalité pour les classes d’âge les plus actives se situe probablement aux alentours de 0,04 % pour les moins de 50 ans, et 0,13 % pour les moins de 60 ans. On se rapproche alors de la létalité moyenne d’une grippe saisonnière.

    Au regard de cette augmentation importante de la létalité du COVID-19 liée à l’âge, le confinement actuel, comme le port du masque et les mesures barrières, sont le plus souvent justifiés par la nécessité de protéger les plus fragiles, donc nos seniors. Au-delà de l’urgence qu’il y avait à stopper l’explosion exponentielle de l’épidémie, une fois celle-ci jugulée, il paraît inutile et économiquement désastreux d’imposer un confinement à tous, sous prétexte de ne protéger qu’une fraction bien identifiée de la population (l’âge médian de la population française est de 41 ans) [7]. 51 % des hospitalisations concernent des patients de plus de 64 ans [8].

    Une façon plus efficace et beaucoup moins coûteuse serait de relâcher la contrainte de confinement pour tous les actifs mais de continuer à l’imposer aux retraités, dont la tranche d’âge correspond peu ou prou à celle dont la létalité est la plus forte. Les retraités sont facilement identifiables par les services de l’État (les caisses de retraite), et ils pourraient même en faire un acte civil volontaire, de la même façon que certains seniors japonais s’étaient portés volontaires pour les tâches de décontamination les plus exposées après la catastrophe de Fukushima [9]. Rester strictement confinés pour sauver l’économie d’un pays, tout en minimisant ses propres risques, n’apparaît pas comme un sacrifice intolérable. Cette mesure continuerait d’être accompagnée par les actions de solidarité que l’on a vu fleurir spontanément en direction des plus isolés.

    Dans le même temps, la levée du confinement pour les actifs devrait impérativement s’accompagner d’un déploiement massif des tests viraux et (bientôt) sérologiques pour circonscrire au mieux les foyers résiduels dès leur apparition, et du respect toujours strict de la distanciation sociale, du maintien des gestes barrières, et de la généralisation du port des masques (y compris « artisanaux ») [10, 11] qui semble avoir été pour beaucoup dans le succès avec lequel la Corée du Sud et le Japon sont parvenus à juguler rapidement la propagation du COVID-19 sur leur territoire.

    Il ne nous restera alors plus qu’à attendre, patiemment, l’extinction totale de l’épidémie, puis le développement et la mise sur le marché d’un médicament antiviral efficace et/ou d’un vaccin, … si cela s’avère possible.

    Pr Jean-Michel Claverie

    PU-PH émérite, Aix-Marseille Université/APHM
    Section CNU 46-04 « biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication »
    Membre du CA de la Société Française de Virologie au 30 mars 2020

    Article publiée dans la rubrique correspondance Urgences John Libbey Editeurs

    1 Une estimation extrêmement grossière basée sur le nombre de cas avérés (donc testés positifs) au 30 mars 2020 : 40 174, sur le fait que les 80 % de cas bénins ne sont pas testés, et tenant compte de l’effet retard de 15 jours d’incubation non encore déclarés et d’un doublement du nombre de cas tous les 4 jours, le tout multiplié par 2 par sécurité : 3 200 000 × 2 = 6 400 000.

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