Pr Alexander Eggermont (IGR)

Cancer : "Le patient et le médecin voyagent ensemble"

ENTRETIEN - A la tête de l'Institut Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer, le Pr Alexander Eggermont livre sa vision du futur de l'oncologie en France.

  • Par Stéphany Gardier avec Anne-Laure Lebrun
  • Gustave Roussy
  • 04 Fév 2017
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    Le monde de la cancérologie vit une révolution sans précédent. Après l'essor des thérapies ciblées, l'immunothérapie s'impose aujourd'hui dans l'arsenal thérapeutique. Mais améliorer la prise en charge des patients ne se réduit pas à une meilleure offre thérapeutique. Changements sociétaux et travail assidu des associations ont permis de faire évoluer la place des patients. Et c’est sans doute là que réside l’autre révolution. Le patient est aujourd’hui au centre de sa prise en charge, partenaire de l’équipe soignante et véritable acteur de sa maladie. Le Pr Alexander Eggermont, directeur général de Gustave Roussy livre à Pourquoidocteur sa vision sur les évolutions qui sont encore à attendre ces prochaines années.

    L’offre de soin est-elle homogène aujourd’hui en France ?
    Pr Alexander Eggermont : La France est parvenue à organiser des soins de très haut niveau pour tout le monde. Chacun peut accéder aux meilleurs parcours disponibles pour sa maladie, mais selon où l’on habite, cela n’a pas le même coût en matière de transport. Il faut être réaliste, tous les traitements ne peuvent pas être disponibles au coin de la rue. Il faut que les Français acceptent l’idée que, dans certains cas, voyager peut être nécessaire pour se soigner.

    La mise sur le marché des traitements innovants est-elle trop lente dans notre pays ?
    Pr Alexander Eggermont : On peut parfois être frustré par les délais mais il est important qu’il existe une politique de négociation des prix de ces traitements. Aux Etats-Unis, quand un médicament est approuvé, il est disponible dans la foulée. Mais c’est aussi là-bas que les médicaments coûtent le plus cher. Un tiers des patients avec un cancer sont obligés de vendre leur maison, ou d’utiliser l’argent mis de côté pour les études de leurs enfants, pour accéder à ces traitements. C’est une situation intenable, qui risque d’ailleurs de s’écrouler très bientôt. Il n’est absolument pas souhaitable que la France et l’Europe tente de suivre le modèle américain. Cela mettrait notre système de santé en péril, tout en créant de graves problèmes pour les patients et leurs proches.

    Parmi ces innovations, l’immunothérapie a créé beaucoup d’espoir. Peut-on encore espérer des avancées de cette envergure ?
    Pr Alexander Eggermont : L’immunothérapie est une révolution, c’est vrai. Et grâce à seulement deux molécules : anti-CTLA4 puis anti-PD1 (voir encadré). Pour la première fois, des cancers métastatiques résistants ont pu être traités, comme le mélanome ou le cancer du poumon. On a aussi beaucoup avancé dans la prise en charge du lymphome de Hodgkin.

    Nous ne sommes qu’au début du développement de l’immunothérapie. Nous avons encore beaucoup de choses à comprendre. Notamment pourquoi dans certains cancers, moins de 30 % des malades répondent au traitement. Mais je suis certain que nous assisterons encore à des avancées spectaculaires dans les 5 à 10 années qui viennent. 

    Les patients sont de plus en plus « experts » de leur maladie, ont-ils fait évoluer les mentalités ?
    Pr Alexander Eggermont : 

    Les patients sont de plus en plus informés, tant mieux. C’est un développement sociétal qu’il faut intégrer et auquel il faut répondre. Nous n’avancerons pas si nous restons dans un modèle conservatif de la relation patient-médecin. Discuter avec les patients, on sait aujourd’hui que cela améliore la prise en charge. Les traitements sont de plus en plus complexes, souvent avec différentes phases qui se succèdent, on doit expliquer tout cela. Il faut voir cette relation comme un partenariat ; le médecin et le patient voyagent ensemble. Si le patient n’a pas les réponses à toutes ses questions il peut se sentir perdu, perdre confiance, voire même quitter le parcours.

    Par ailleurs, il est très important pour nous que les patients s’expriment. Ils nous permettent de progresser, car ils nous sensibilisent sur des sujets que les médecins ne prennent pas toujours en considération spontanément.

    Le patient a le droit de dire qu’un choix thérapeutique ne lui convient pas ?
    Pr Alexander Eggermont : Refuser un traitement, ou discuter une option thérapeutique, est plus qu’un droit, c’est une obligation que chacun a envers lui-même. C’est le patient qui est au guidon de sa propre vie. Mais je me rends compte qu’oser s’exprimer est culturel. Aux Pays-Bas, la grande majorité des patients arrive en consultation avec des directives écrites précisant leurs volontés en matière de soin. Quand ils ont des cancers métastatiques, ils n’hésitent pas non plus à discuter de l’éventualité de leur fin de vie avec leur médecin. Ils sont beaucoup plus proactifs qu’en France. Ca prendra un peu de temps, il faut aussi que les médecins évoluent, mais les Français sortiront du modèle « classique » dans lequel ils sont encore.

    Retrouvez l'intégralité de l'interview d'Alexander Eggermont dans Le Supplément n° 9 : Cancers, la révolution patients.

     

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    JDF