EXCLUSIF. Le vaccin contre la gastro-entérite ne sera pas remboursé

Des questions émergent sur la mort de deux nourrissons, décédés des suites d’une invagination, après avoir été vaccinés contre la gastro-entérite. Selon nos informations, le vaccin ne devrait pas être remboursé.

  • Par Marion Guérin
  • CLOSON/ISOPIX/SIPA
  • 03 Avr 2015
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    Ce jeudi matin, le traditionnel « petit déjeuner presse » organisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a des allures particulières. Si les journalistes écoutent patiemment les sujets à l’ordre du jour – changement de couleur du comprimé Préviscan, position française sur le Mysimba… - tous ont en tête une actualité très différente.

    Deux nourrissons sont décédés des suites d’une invagination après avoir reçu une injection de RotaTeq (Sanofi Pasteur MSD) et de Rotarix (GlaxoSmithKline), deux vaccins contre les rotavirus. L’hebdomadaire satirique a révélé l’information ce mercredi ; l’ANSM l’a communiquée la veille. Une belle synchronisation, à un moment crucial pour ce vaccin.
    Et l'enjeu est de taille. En France, l’infection à rotavirus, principal agent infectieux des gastro-entérites, serait responsable chaque année d’environ 300 000 épisodes de diarrhée aiguë chez les enfants de moins de 5 ans, dont 160 000 diarrhées sévères, avec en moyenne 13 à 14 décès annuels. Ces infections seraient à l’origine de 138 000 consultations par an et le nombre d’hospitalisations liées à ces infections est estimé à 18 000. Le coût annuel de l’infection s’élèverait à 28 millions d’euros pour le système de santé. 

    Ni remboursé, ni recommandé

    Pourtant, dans les prochains jours, la Haute autorité de santé (HAS) doit se prononcer sur le remboursement de ce vaccin onéreux - 140 euros la dose de Rotarix, 180 euros pour le RotaTeq. Et ce sera non. Cette semaine, l’instance sanitaire a reçu des représentants de GSK et de Sanofi-Pasteur, les laboratoires qui distribuent ces vaccins. Elle leur a expliqué, comme elle l’avait fait en octobre, puis en décembre dernier, que le service médical rendu (SMR) du vaccin étant insuffisant, l’Assurance Maladie ne le prendrait pas en charge. La décision devrait être confirmée lors du prochain comité de transparence de la HAS.

    C’est un coup dur pour les deux laboratoires. D’autant plus que le Haut Conseil à la Santé Publique (HCSP), qui recommande le vaccin depuis décembre 2013, devrait s’aligner sur la position de la HAS. Saisie par la Direction générale de la santé (DGS) après la remontée des cas de décès, l’instance est en pleine réévaluation de ses recommandations. Or, selon des sources proches du dossier, elle ne préconisera pas la généralisation d’un vaccin non-remboursé, et aussi cher. Si tel était le cas jusqu’ici, c’était sous réserve « d’une politique tarifaire conduisant à des ratios coût/efficacité acceptables », peut-on lire dans son avis de 2013.

    Un difficile parcours
    Décidément, le parcours de ce vaccin est semé d’embûches. Déjà, en 2006, lors de l’arrivée des produits sur le marché français, le Haut Conseil s’était opposé à la généralisation de la vaccination, en se fondant sur l’avis du Comité Technique des Vaccinations (CVT). « A l’époque, nous savions presque rien de ce vaccin, explique le président du CVT, Daniel Floret. Les études comparant son coût et son efficacité étaient plutôt défavorables. Et nous avions une autre priorité : généraliser l’usage des solutés de réhydratation comme traitement aux gastro-entérites, alors très peu répandu ».

    En 2010, rebelote. Cette fois, ce sont les effets secondaires du vaccin qui ont rebuté les instances sanitaires. « Les premières informations sur un surisque d’invaginations nous sont parvenues, poursuit le Pr Floret. Il s’agissait alors de données préliminaires, qui ne nous permettaient pas d’avoir un avis précis sur ces risques. De plus, il existait des doutes autour d’une éventuelle contamination par des souches de virus porcins ». Pas question, dans ces conditions, de recommander le vaccin.

    Mais en 2013, le HCSP a changé d’avis. Dans son rapport, les membres du Conseil évoquent une réduction massive - de l’ordre de 80 % - des hospitalisations de nourrissons liées aux gastro-entérites, dans les pays à forte couverture vaccinale. Le surisque d’invaginations est alors bien identifié, très faible – entre 3 et 6 cas pour 100 000 enfants vaccinés – et concentré sur les sept jours succédant la vaccination. « Cela nous a donné l’impression qu’avec une vigilance particulière, on pouvait effectivement préconiser ce vaccin. Nous n’avions aucune donnée sur des cas de décès ou de formes graves d’invagination », conclut Daniel Floret.

    Les pédiatres favorables au vaccin
    S'il n'est ni remboursé, ni recommandé, faut-il s’inquiéter de ce vaccin ? Le message des autorités sanitaires et de bon nombre de praticiens se veut rassurant. L’ANSM a confirmé qu’elle ne réévaluerait pas la balance bénéfice-risque du RotaTeq et du Rotarix. « Elle a déjà été réévaluée l’an dernier, explique Dominique Labbé, directrice adjointe de l’ANSM. Ces risques ne sont pas nouveaux, ils sont connus dans tous les pays qui commercialisent le vaccin. Nous voulons surtout alerter sur la prise en charge des invaginations ».

    C’est donc là que le bât blesse. Les deux décès liés aux invaginations seraient liés à une mauvaise prise en charge, à un repérage défaillant et un diagnostic trop tardif. Selon nos informations, le bébé décédé après l’injection du vaccin Rotarix n’a pas été suivi médicalement. Il serait décédé à domicile. « C’est ça, le problème, souligne l’épidémiologiste Christine Hill. Si les parents avaient été informés de ce surisque dans les jours succédant la vaccination, alors il n’y aurait peut-être pas eu de décès. On mourrait d’invagination au Moyen-Âge ! En réalité, il vaut mieux continuer à vacciner, car cela réduit les hospitalisations liées aux rotavirus, et les gastro-entérites contractées à l’hôpital ».

    En France, l’impact sur les hospitalisations est demeuré très limité, du fait de la faible couverture vaccinale : 9% des nourrissons ont reçu une injection. Mais les pédiatres restent catégoriques. « Je comprends que l’on ne recommande pas la vaccination généralisée s’il y a une mauvaise prise en charge des invaginations, explique Marie-Aliette Dommergues, pédiatre au Centre Hospitalier de Versailles. Mais mon opinion sur ce vaccin ne change pas. Je le recommanderai à mes patients en leur fournissant toutes les informations nécessaires pour repérer les signes d’une invagination. Cela en découragera beaucoup… mais au moins, ils seront au courant. »

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    JDF